« Touche pas mon pote, il a sa carte de presse ! »

« Les médias travaillent aujourd’hui 24H/24H, parfois même plus !». Il est environ 19 heures, cette phrase vient de sortir de la bouche du président de la république devant un parterre de journalistes triés sur le volet.

Je suis journaliste de la presse radio, j’assistais hier soir à la scène bien installé dans une confortable chaise de la salle de presse de l’Elysée. Cette attaque tout en finesse ne m’a pas atteinte, elle m’a même fait sourire.

Aujourd’hui  je suis content, j’ai du travail, du grain à moudre en quelque sorte. La semaine dernière c’était moins fun, j’étais même arrivé au point de devoir animer une émission où je n’avais strictement rien à dire d’intéressant, aucun scoop, aucun dérapage d’un ministre, même pas le moindre petit adultère gouvernemental, nada, de nada. Vous savez ce n’est pas toujours rose la vie d’un journaliste.

Alors comment je m’en suis sorti la semaine dernière ? Facilement à vrai dire, pour un expert en brassage de climatisation comme moi, le rien à dire est un peu mon pain quotidien. Alors j’ai invité des consultants, certains drôles, d’autres virulents, leur mission : créer de l’actualité, créer du buzz, maintenir mon audimat, sauver mon job en résumé.

Le résultat était limpide, 2 h30 de branlette stérile, qui non seulement n’apportait rien d’autre à nos auditeurs qu’un peu de distraction leurs permettant de patienter dans les bouchons, mais qui en plus focalisait l’esprit des français sur des détails tout à fait anodin la vie politique. (« Mon dieu, Cécile Duflos aurait prononcé une phrase allant contre ce que le concierge du cousin du beau-frère de J.M Herault avait évoqué en Off à un journaliste la veille ! » « Démission ! »). Bien sûr, nous, ça ne nous arrive jamais d’avoir des points de vue divergents au sein de la rédaction, nous sommes bien trop pro pour cela.

Alors cette petite attaque du président m’a amusée, je vais même être très positif avec lui aujourd’hui dans mon émission. Je le dois le remercier de m’avoir consacré 2H30 et d’avoir flatté mon égo en répondant à ma question, tout en plébiscitant la nécessité de la liberté absolue de la presse. Je suis un peu comme cela moi, le cœur sur la main, je ne peux m’empêcher de câliner les gens qui vont dans mon sens.

Je m’apprête à boucler ma préparation d’émission lorsque j’entends le premier ministre se défendre violemment face à l’un de mes confrères d’une autre radio. Cela me scandalise, qui est-il ce premier ministre pour se permettre de remettre à sa place un journaliste aussi compétent (car journaliste, donc compétent). Ce gouvernement ne respecte donc rien, il ose prétendre que les journalistes s’intéresse à la forme plutôt qu’au fond, aux détails secondaires mais vendeurs plutôt qu’aux politiques structurelles nécessitant du recul ; « Charlatans, bande de trop payés, je vais en toucher 2 mots à mes consultants moi, il va voir ce qu’il en coûte de s’en prendre à la presse cet amateur!»

Ma journée terminée, je rentre à la maison le sentiment du devoir accompli, j’ai fait de l’audience et en plus j’ai fait ma BA en défendant la sacro-sainte devise de ma profession : touche pas mon pote journaliste ! »

Publié le 14 novembre 2012, dans Billets d'humeur de Sylvain. Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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